Étude de la musique des donjons de « Link’s Awakening »

À propos de ce dossier

Une plongée musicale au cœur des pistes de donjon de « The Legend of Zelda: Link’s Awakening ».


Niveau 6 : Temple du Masque (La piste boucle à 0:51.)

PAUSE

Quand j’ai pour la première fois découvert les similarités entre les différentes musiques des donjons dans Link’s Awakening, j’ai présumé qu’elles étaient toutes des variations sur le même thème — les motifs bleu et rouge et l’« effet Dents de la mer » comme je les ai exposés plus haut. Cependant, alors que je commençais à retranscrire chaque piste et à vraiment identifier les différents motifs, j’ai remarqué que les trois derniers donjons du jeu avaient eu droit à de nouvelles caractéristiques musicales. Au début, j’étais déçu — peut‐être que les points que je voulais soulever concernant la façon dont les motifs créent une structure unifiée et permettent une certaine diversité, tout en gardant les choses reconnaissables, allaient être beaucoup moins pertinents.

Toutefois, comme ce n’était pas trois donjons éparpillés aléatoirement, mais bien les trois derniers, cela m’a fait envisager une autre perspective — examiner la narration du jeu et regarder si l’on pouvait y trouver une explication.

Une fois que je m’étais fixé sur cette démarche de réflexion, la grande question devint : qu’est‐ce qui change entre le cinquième et le sixième donjon ?

Bon, si le jeu vous est un peu familier, la réponse est, en réalité, « pas mal de choses ». En fait, le premier événement inhabituel se produit avant même que vous ne quittiez le cinquième donjon — juste après que vous vainquez le boss Slime Eel.

Bien que l’on puisse voir certains boss parler, Slime Eel est le premier boss à avoir quelque chose à dire APRÈS que vous l’avez vaincu. (En fait, la piste intitulée « Boss Warning », qui est jouée pendant ce dialogue, est située juste après la musique du Poisson‐Chat dans la liste des pistes. [N. D. T. — Le fait que la liste des pistes n’a rien d’officiel a ici échappé à l’auteur ; toutefois, l’ordre de celle-ci nous transmet l’organisation chronologique des événements du jeu : la remarque reste donc intéressante.]) Et voici ce qu’il a à dire (d’ailleurs, ce sont des spoilers si vous n’avez pas joué au jeu, mais je vais partir du principe que la plupart des personnes qui lisent ceci y ont joué, ou du moins connaissent l’intrigue) :

AHHH! Tu ne connais pas encore cette île! Tu es vraiment naïf... AHHH!

Slime Eel.

Évidemment, le boss fait référence au fait que l’île entière sur laquelle le jeu prend place est un rêve, et que votre quête pour réveiller le Poisson‐Rêve sonne le glas non seulement pour les boss, mais aussi pour vous et tous les autres. Ici, il ne donne qu’un indice de cela et vous provoque à ce sujet — et la piste « Boss Warning » a recours encore une fois à l’« effet Dents de la mer » pour renforcer le côté effrayant de la déclaration :

Il n’y a pas besoin d’en dire beaucoup sur l’importance du concept du rêve dans Link’s Awakening — mais il y a une chose qui me semble souvent oubliée, c’est que le rêve lui‐même a droit à sa représentation musicale dans la bande‐son. Il s’agit d’un simple accord, qui est entendu pour la première fois, de manière adéquate, dans le gîte des Rêves :

[N. D. T. — L’auteur s’est par la suite corrigé en indiquant sur Twitter que l’accord apparaît en réalité dès la séquence d’introduction, à 0:19 — une manière de préfigurer le cœur de l’intrigue du jeu.]

L’arpège d’ouverture de la piste « Dream Shrine Entrance » ainsi que les arpèges dans « Falling Asleep » et « Dream Shrine » correspondent tous au même accord — un accord mineur avec une septième majeure. Appelons‐le l’« accord du Rêve » :

Accord du Rêve.

L’accord du Rêve est instauré assez tôt, le gîte des Rêves étant accessible aussitôt le troisième donjon terminé — mais il fait une réapparition significative au temple du Masque du Sud, où la révélation majeure du jeu est faite :

L’ILE COCOLINT N’EST QU’UNE ILLUSION... MER, CIEL, MONSTRES, HUMAINS... RIEN N’EST REEL. L’ILE N’EXISTE QUE DANS LES SONGES DU POISSON-REVE. IL S’EVEILLERA ET ELLE DISPARAITRA. NAUFRAGE, TU DOIS CONNAITRE LA VERITE...

Texte écrit sur la gravure du temple du Masque du Sud.

La musique qui est jouée durant cette révélation est simplement aussi motivique que possible — l’ostinato servant de support ici n’est autre que l’accord du Rêve décomposé :

Accord du Rêve décomposé.

tandis que la mélodie principale est une version de la « Ballade du Poisson‐Rêve » en mineur — ce qui ici accompagne parfaitement la révélation.

Niveau 6 : Temple du Masque (La piste boucle à 0:51.)

Avec ce contexte nouveau en tête, on peut s’attaquer à la musique du sixième donjon, le temple du Masque. En réalité, il n’y a presque aucun nouveau contenu musical ici — cette piste reprend la même décomposition de l’accord du Rêve que dans le temple du Masque du Sud, en retirant la mélodie du Poisson‐Rêve. Ce qui est différent cette fois, c’est la façon dont la piste est structurée verticalement — vous remarquerez qu’elle commence avec un certain « flou ». Cet effet est obtenu en ayant recours à une voix pour jouer la mélodie pendant qu’une deuxième joue exactement la même mélodie avec une note de retard, faisant office d’« écho » pour la première voix. Une fois ces voix superposées, vous obtenez un effet de flou, d’indiscernable :

Extrait de la partition du temple du Masque.

Ce « flou » reste effectif jusqu’à 0:09, lorsque la mélodie devient bien plus claire et discernable, avant qu’à 0:15, elle se scinde de nouveau en deux voix désynchronisées.

Évidemment, il s’agit à nouveau d’un exemple de l’« effet Dents de la mer », mais cette fois, ce ne sont pas simplement des augmentations et diminutions de nuances ; c’est aussi une modification dans la texture du son en lui‐même. En superposant simplement deux voix désynchronisées, les compositeurs ont réussi à concevoir un nouveau « timbre » auquel ils n’avaient normalement pas accès. C’est encore un autre exemple d’utilisation créative des outils disponibles pour produire quelque chose de nouveau et d’intéressant à écouter.

Dossier réalisé par Zelink, le 08 avril 2017

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À propos de l'auteur :
Je soule mon monde pour des écarts typographiques d’une insignifiance consensuelle. Le vice des points a corrompu jusqu’à mes écrits les plus informels. Ce que je fais de bien, c’est comme cette rime : de l’accidentel. (Af, là, ça sonne pas naturel.)